Mitt Romney, les mormons et… l’argent

Oui, chers amis, on remet une couche sur la question de l’argent dans le mormonisme. La question est encore pertinente pour au moins trois raisons: la prise de position du CNEF, la façon dont Mitt Romney a acquis sa richesse et la prospérité décomplexée de l’Église mormone.

Tout d’abord, il y a l’actualité religieuse chez nous avec la réflexion engagée en France par CNEF (Conseil national des évangéliques de France) qui prend ses distances par rapport à ce qu’il est convenu d’appeler la « théologie de la prospérité ». Certes, cette position n’engage pas l’Église mormone qui ne prétend pas appartenir au mouvement évangélique. Mais elle a le mérite d’ouvrir à nouveau le débat sur le rapport de la religion à l’argent.

Il y a ensuite ce qu’il se passe en ce moment entre Barack Obama et Mitt Romney: une séquence de « bilan contre boulet » grâce à laquelle Obama réussit pour l’instant à dicter le contenu des médias. En effet, malgré les risques et les critiques à l’intérieur de son propre parti, nous en avons déjà parlés, l’équipe d’Obama réussit habilement à faire taire son bilan économique et à faire braquer le feu des médias sur la façon dont Mitt Romney a accumulé sa richesse.

Du coup, Romney et son équipe passe leurs temps à démentir des affirmations et à demander des excuses à Obama et son équipe qui l’accuse d’avoir menti sur le moment où il a quitté le fond d’investissement Bain Capital. Quand on sait que les élections se gagnent aussi grâce à la capacité d’un candidat à orienter le contenu des médias, il faut avouer que c’est bien joué de l’équipe d’Obama de réussir à faire passer pour un boulet ce que Romney présentait comme son point fort face à un Obama qui n’a jamais été dans le monde de l’entreprise. Rupert Murdock n’avait pas tort de lui conseiller de ne pas sous-estimer les professionnels de la politique de Chicago.

Cela dit, si l’équipe d’Obama s’impose dans les médias, ce n’est pas le cas pour les levées de fonds. Ce point est encore plus important que le fait d’orienter le contenu de la presse puisque, comme on le sait, au pays de l’Oncle Sam, celui qui a le plus d’argent tient une longueur d’avance sur son adversaire. Or, Romney continue de creuser l’écart sur ce plan, au point même d’inquiéter sérieusement l’équipe d’Obama sur les derniers mois de mai et de juin (aller, une fois n’est pas coutume, la référence pour approfondir sera française). Pour un président sortant, c’est assez peu commun pour être relevé.

Le dernier point de cette note, pour vous gratifier de votre patience, sera certainement plus croustillant… pour les journalistes sérieux habitués à l’étude des religions, pour les chercheurs… et peut-être un peu moins pour certains autres, tout dépendra de comment on prend les choses. Tout d’abord, observez ce qui suit:

Il s’agit, comme on peut le constater, de la couverture du magazine Bloomberg Businessweek qui a consacré un article consistant – « How the Mormons Make Money » (« Comment les mormons font de l’argent », résumé en français ici) – à l’empire financier que représente l’Église mormone. Rien de vraiment nouveau pour le spécialiste. L’illustration en question, peinte au XIXe siècle par un célèbre converti mormon d’origine danoise du nom de C. C. A. Christiensen, montre une scène très importante dans les croyances mormones: Jean le Baptiste qui confère à Joseph Smith et son bras droit, Oliver Cowdery, l’autorité de baptiser (prêtrise d’Aaron, dit-on en jargon mormon). Et voilà que le magazine ne fait pas dire à Jean-Baptiste les paroles suivantes « …et tu construiras un centre commercial, détiendras des parts de Burger King, ouvriras un parque à thème sur la Polynésie à Hawaï qui sera largement exempté des frustrations des impôts… »! Et  Joseph Smith selon la journaliste d’acquiescer d’un « Hallelujah » venant manifestement du fond du cœur à ce commandement angélique de rechercher à tout prix la prospérité sans se préoccuper du spirituel.

Richard Hétu, journaliste canadien basé à New York, a été le premier sur le net francophone à se poser la question de savoir si les mormons laisseraient passer cette image – détournée de leur panthéon iconographique – sans la dénoncer. Cela suppose que, comme journaliste, Hétu avait relevé une démarche critiquable. Et bien, cela n’a pas manqué! La couverture et l’article ont déclenché un tollé. De l’Église mormone, aux universitaires spécialistes des religions, en passant pas les écoles de théologies et de journalisme, l’auteure de l’article et le magazine en prennent pour leurs grades (non, ce vocabulaire ne me vient pas du 14 juillet!). Inadmissibles! Déplacé! On n’aurait pas fait ça si c’était les catholiques, les juifs ou les musulmans! Ce n’est pas ce que nous enseignons dans les écoles de journalisme (spécialisées, s’il vous plait)! L’article est à côté de la plaque, il extrapole et suppute! Etc.

Au moment où je rédige cette note, je suis retourné sur le site du magazine pour vérifier deux ou trois bricoles. Et là, surprise! L’image de couverture en ligne a changé! Une illustration plus « neutre » (des mains dorées avec des dollars) a remplacé la visite angélique à Smith et Cowdery.

C’est vrai que l’Église mormone est habituée à être tournée en dérision. Cela devient une quasi normalité, un « must do » d’avoir son petit moment de dénigrement des mormons. On prend avec les mormons des libertés que l’on ne prendrait pas avec d’autres groupes religieux. Des fois ça passe. Des fois ça passe pas.

La réception de l’article aurait peut-être été un peu moins choquante si le support de publication était clairement identifié comme étant dans l’industrie du divertissement et de la caricature. En principe, quand on veut caricaturer, on ne va pas trop demander des interviews. Et les mormons auraient su à croire s’en tenir. Or, ici, il faut croire que les mormons ont reçu l’article comme un coup de poignard dans le dos. Et pour cause, l’article cite des gens qui en principe n’accordent pas d’interviews à la presse sur la gestion financière de l’Église, notamment l’ancien numéro un de l' »épiscopat président« , Keith McMullin. Certes, les mormons ne sont pas dupes. Ils savent et ne s’attendent pas à ce qu’un article de presse soit une apologie de leur réussite. Mais, qu’ils se rendent disponibles pour répondre à des questions, notamment sur les finances de l’Église mormone gérée dans la plus grande confidentialité, témoigne d’une ouverture qu’un journaliste n’aurait jamais dû mésestimer.

Cette affaire de journaliste qui se prend les pieds dans le cambouis en essayant de couvrir une religion me ramène à une question que je me pose de plus en plus et qui s’adresse aux écoles de journalisme: quand allez-vous ouvrir vos portes à des spécialistes des religions pour mieux former les journalistes de demain? Si ces formations existent déjà, il faut croire qu’elles sont un échec total et qu’il faut les revoir. Certes, que l’on soit journaliste ou pas, travailler sur les religions est quelque chose de  délicat. Il faut ménager les susceptibilités des croyants, sans pour autant devenir prosélyte d’un jour du  groupe que l’on couvre. En même temps, les approximations, raccourcis, manques d’éthique que je lis ici et là me font dire qu’il y a vraiment urgence.

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