L’Église mormone projette un temple en Haïti: ce que cela signifie

Saut-d'Eau, Haïti, Juillet 2013.

Saut-d’Eau, Haïti, Juillet 2013.

Hier, dimanche 5 avril 2015, Thomas Monson a annoncé aux fidèles au cours de la 185e conférence générale e l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours le projet de l’institution qu’il préside de lancer la construction de trois nouveaux temples de par le monde. Ces temples seront implantés à Bangkok (Thaïlande), Abidjan (Côte d’Ivoire) et à Port-au-Prince (Haïti).

Ce que ce projet signifie pour l’Église mormone et ses fidèles

Comme je l’ai dit par ailleurs, et contrairement à ce qu’on a pu entendre les détracteurs du mormonisme énoncer s’agissant d’un projet identique à Paris, au lieu d’être le point de départ, ces temples sont l’aboutissement, ou à minima, la manifestation visible de l’enracinement et de la maturité du mormonisme dans un pays donné. Entendre par là qu’il y a suffisamment de fidèles assidus, payeurs de dîme, qui servent, qui sont formés et qui peuvent faire fonctionner le temple, etc. D’ailleurs, cela fait des années que le mormonisme fonctionne uniquement avec des Haïtiens, sans apport de missionnaire étranger, cela depuis l’autorité interrégionale en passant pas le président de mission. Le fait que l’Église mormone annonce la construction de nouveaux temples n’est presque plus surprise.

Ce qui surprend encore ce sont les pays choisis pour implanter ces temples; surtout lorsqu’il ne s’agit pas des États-Unis. Aussi, l’effet de surprise, mêlé de joie extrême, a été total hier à l’annonce qu’un temple allait être érigé en Haïti, appelé jadis « La Perle des Antilles ». Des informations que j’ai pu glaner ici et là hier, les mormons haïtiens qui suivaient la conférence ont exulté de joie, n’ont plus écouté ce qui se disait. Un contact et ancien haut dirigeant de l’Église mormone en Haïti qui suivait la conférence par internet depuis son domicile m’a dit avoir bondi dans sa voiture pour rejoindre le centre de diffusion par satellite pour célébrer la nouvelle avec ses « frères et sœurs ». Plusieurs anciens missionnaires de l’Église en Haïti ont immédiatement posté l’information sur les réseaux sociaux. Extraits:

– « LDS Temple Announcement in Port au Prince, Haiti. Mesi Bondye a! » (sic) (Brandon Stein)
– « Gwo ke kontan! Temple in Haiti!…Fulfilment of prophecy….  Bon bagay net, papa! James Richard; message reposté par plusieurs autres anciens missionnaires)
– « MESI BONDYE!!! MESI AMPIL! » (sic) (Steven Eror, Jr.).

Cette annonce devait revêtir un sens tout particulier pour Monson. C’est lui, jeune apôtre en 1983, qui avait « consacré Haïti le 17 avril, soit 28 ans plus tôt le même mois, à la prédication de l’Évangile », acte officialisant le début de l’implantation du mormonisme dans un pays.

Il n’est pas étonnant que l’on parle de « bénédiction », pour laquelle on remercie grandement le Bon Dieu (Mèsi anpil) ou de « prophétie accomplie » (fulfilment of prophecy). C’est l’énonciation indirecte de la pensée que « le temple était très attendu ». Dans certains cas, on a écrit et on m’a dit que c’était « mérité », que les mormons haïtiens avaient œuvré pour ce temple. Et on peut imaginer que les réactions ont été similaires Bangkok et Abidjan. Elles seront toujours très fortes parce que le temple est ce qu’il y a de plus sacré sur terre pour les mormons. Il est pour eux un « totem », une passerelle, reliant le ciel à la terre.

Pour les mormons haïtiens, ce temple sera aussi une nouvelle cascade « Saut-d’Eau » (voir photo). Plus qu’un beau bâtiment, voire une attraction touristique, il sera un haut lieu religieux, avec toute la charge symbolique, poétique et religieuse de l’eau qui coule dans un pays que l’on croit, à tort, maudit.

Au-delà du mormonisme: le contexte géopolitique et sens du temple pour Haïti

L’Église mormone ne se lance pas sur un coup de tête dans la construction d’un temple. Outre le sens que revêt l’édifice pour elle et ses fidèles, on ne peut pas ne pas souligner des critères se rapportant directement au lieu de construction et, dans le cas d’Haïti, de géopolitique.

Sur les critères se rapportant au lieu, l’édification d’un temple est le signe que l’Église mormone a observé suffisamment longtemps ce qui se passe sur le plan politique en Haïti et qu’elle anticipe que les choses ne peuvent qu’aller mieux. Autrement dit, il y a dans le pays une dynamique qui va dans le sens d’une stabilité politique. Il suffit d’ailleurs de regarder le nombre de projets industriels et touristiques d’envergure impliquant des entreprises étrangères pour se convaincre de la confiance qu’inspire la situation en Haïti. Il faut, bien évidemment, se réjouir de ces bons indicateurs.

L’annonce de ce temple est aussi éminemment liée à la géopolitique locale. L’un des tout premiers sentiments de mon contact est que le projet découle du fait que les dirigeants de l’Église mormone ont observé de près l’attitude du gouvernement de la République Dominicaine envers les Haïtiens ou ses propres citoyens d’ascendance haïtienne. Je ne peux qu’abonder dans son sens. Je renvoie pour exemples à la décision raciste de la justice de ce pays de rendre apatride les personnes d’ascendance haïtienne, ou encore à la maltraitance, pire, aux meurtres iniques d’Haïtiens qui « ki ap chache la vie » (qui cherchent la vie) à Saint Domingue.

Il faut aussi souligner que l’Église mormone dispose déjà d’un temple dans ce pays voisin d’Haïti et que, dans la mesure où les temples mormons sont mis à la disposition de toute une région (exemple temple de Madrid sert l’Espagne, le Portugal, une partie de la France, du Cap Vert, me semble-t-il, etc.), il n’y avait aucune raison pour l’Église de construire un autre temple sur la même île. Cela d’autant plus qu’il y a d’autres endroits dans la Caraïbes (Guadeloupe, Trinidad & Tobago, Porto-Rico, par exemple) où l’implantation est forte et où on attend avec impatience un temple.

Donc, au-delà de la dimension sacrale, spirituelle du temple, l’annonce de l’Église mormone vient témoigner de sa solidarité avec le peuple haïtien et de sa confiance dans l’avenir de ce pays. Aussi, avec les autres, le natif natal que je suis, dit « mèsi anpil » pour la marque de confiance et pour cette solidarité. Gageons que le peuple haïtien, habitué à la pluralité religieuse, accueillera cet édifice avec le respect et bienveillance.

Mia Love et Orrin Hatch: première républicaine Noire au Congrès et le retour d’un mormon à la tête de la commission des finance du Sénat

Titre long pour une note brève.

Mia Love

Je le concède, le truisme « rien ou peu de choses sont irréversibles en politique », que j’avais mis en avant dans ma précédente note, aurait pu s’appliquer à Mia Love: malgré les indicateurs que j’avais mis en avant, elle aurait pu échouer à battre Doug Owens qui, il faut le reconnaître, avait aussi des atouts. Mais ma note n’était pas non plus un coup de poker. Elle était bien étayée. Et les résultats des urnes ne m’ont pas fait mentir.

Mia Love embrassé par son père, Deseret News

Mia Love embrassé par son père, Deseret News

Que ce soit sur le site du Deseret News ou celui du Salt Lake Tribune, l’image qui prévaut pour les élections de mi-mandat en Utah est celle de Mia Love, entourée de sa famille, dont son père qui l’embrasse. Les parents de Mia Love et sa famille ont de quoi être heureux puisqu’elle vient non seulement d’être élue au Congrès, ce qui est déjà beaucoup pour une famille d’immigrés, mais qu’elle va marquer l’histoire aussi bien au niveau de l’Utah qu’au niveau fédéral.

Au niveau de l’Utah, Mia Love est la première Noire élue au Congrès. Elle est aussi l’autre nom du parachèvement de la « républicanisation » de l’Utah. Avec son élection, la délégation qui représentera l’Utah au Congrès, que ce soit au Sénat ou à la Chambre, est « rouge », entièrement républicaine. Cette délégation, issue d’un État plutôt conservateur et patriarcal, comprend une femme. Cela peut surprendre quand on méconnait l’Utah de voir une femme en politique et élue à une telle fonction; mais comme je l’ai expliqué dans ma précédente publication, ce n’est pas une nouveauté dans l’histoire de l’Utah.

Au niveau fédéral, Mia Love devient la première femme Noire du Parti républicain au Congrès, issue qui plus est de l’immigration. Tout un symbole pour le Parti qui s’oriente maintenant vers les élections présidentielles et qui veut s’adresser aux minorités.

La Commission des finances du Sénat

Avec la perte du Sénat, Harry Reid ne sera plus le chef de la majorité et de fait, ne sera plus le mormon le plus puissant du monde. Il passe dans l’opposition pour laisser sa place à Mitch McConnell, sénateur du Kentucky et évangélique affilié à la Convention des baptistes du Sud. La régression de Reid ne signifie pas pour autant que les mormons perdent en représentativité politique puisque Orrin Hatch est normalement le futur président de la Commission des finances du Sénat, poste stratégique par où passe deux tiers du budget des États-Unis. Hatch, qui de par son ancienneté deviendra aussi président par intérim du Sénat, ne sera pas le premier mormon à détenir la clé des finances américaines. Il aura probablement à cœur de marquer l’histoire économique du pays comme le fit un certain Reed Smoot, apôtre mormon, qui fut président de cette même commission de 1923 à 1933.

Les mormons et l’Utah vont de nouveau marquer l’histoire des États-Unis avec Mia Love

QG campagne Mia Love, nov 2012

QG de campagne Mia Love, nov 2012 – Cliché CCharles

Au lendemain de sa victoire contre Mia Love en novembre 2012, Jim Matheson, le champion du Parti démocrate, avait affirmé qu’en échouant à le battre dans les urnes,  Mia Love, avait raté la seule vraie occasion qui pouvait lui être donnée de se faire élire comme représentante de l’Utah au Congrès.

Les résultats serrés (moins de 768 voix d’écart) à travers le district en jeu – dont Salt Lake City, ville de moins en moins mormone et de plus en plus libérale – et le contexte politique général donnaient raison à Matheson. Mia Love, qui incarnait le renouveau, était soutenue par Mitt Romney en personne alors que Matheson, même après avoir pris ses distances avec la loi sur la santé de Barack Obama, était considéré comme le « candidat d’un système qui avait failli ».

Mais on le sait aussi, rien ou peu de choses sont irréversibles en politique. Et l’ironie du sort est que c’est Matheson qui, à peine un mois après le début de son septième mandat, offrit à Mia Love la seconde et certainement la plus sérieuse occasion de se faire élire en annonçant qu’il n’en briguerait pas un huitième. Avec son retrait, tous les indicateurs sont de fait passés au vert pour que Mia Love devienne la première Noire du Parti républicain au Congrès, envoyée par l’Utah des mormons qui plus est. Deux sur les trois derniers sondages, y compris un du Parti démocrate, la placent déjà en tête du scrutin avec entre 9 et 12 points d’avance sur son adversaire. Au-delà du retrait de Matheson, voici quelques-unes des raisons de ce succès annoncé.

Exit la contrainte du nom
L’un des principaux indicateurs est celui du nom. Pour le meilleur ou pour le pire, celui-ci importe en politique, et en particulier en Utah où il est de bon ton d’avoir un nom qui évoque l’héritage commun de la majorité de la population, à savoir les charrettes à bras, la construction ex nihilo d’une ville dans le désert, les persécutions, et même la polygamie.

En 1976, Orrin Hatch, l’actuel doyen des sénateurs américains, avait rappelé au démocrate Frank Moss qui l’accusait d’être un jeune inexpérimenté « parachuté » en Utah qu’il pouvait le battre rien qu’avec les voix des Hatch issus de la polygamie et arrivés en Utah avec les premières compagnies de charrettes à bras.

Mia Love n’a pas été élue en 2012 justement parce que son adversaire avait comme Hatch un patronyme fort et facilement identifiable ; c’est ce qu’on appelle la « name recognition » en anglais. Certes, les Matheson sont arrivés en Utah seulement au cours de la première moitié du vingtième siècle. Mais ils ont très vite su se positionner au cœur de la cité : le grand-père Matheson fut assistant du procureur fédéral pour l’Utah ; le père fut avocat et gouverneur de l’Utah de 1977 à 1980 et c’est en son honneur que le patronyme Matheson a été porté en 1996 à la façade de l’un des tribunaux de Salt Lake City.

Jim bénéficiait donc de tout ce capital, sans compter le fait qu’il en était à son sixième mandat comme représentant de l’Utah au moment de son face à face avec Mia Love en 2012.

Un adversaire « pour occuper le terrain »
Bien sûr, le retrait de Jim Matheson n’a pas changé la réalité historique pour Mia Love. En revanche, elle a réussi ses dernières années à se faire un nom à force de publicités, de meetings, d’interviews, etc.

Elle bénéficie aussi d’avoir en face d’elle un certain Doug Owens, bien moins connu dans le district et qui a un patronyme somme toute banal, que les électeurs ne peuvent pas plus associer à l’héritage commun que celui de son adversaire. Il essaie de compenser cette faiblesse en donnant des informations qui témoignent d’un ancrage religieux et culturel comme le fait d’avoir été missionnaire pour l’Église mormone (en France, pays d’origine de sa mère et comme son père avant lui) mais c’est bien peu compte tenu des atouts de Mia Love qui est aussi mormone.

En effet, à l’inverse d’Owen, qui a tout l’air d’un candidat aligné « pour occuper le terrain » même si on connaît à l’avance l’issue du scrutin, la candidate du Parti républicain a un patronyme sympathique que ces stratèges ont rendu percutant et facile à retenir à travers le slogan « Love4Utah ». Ce slogan renvoie directement à un autre atout majeur qui est la personne même de la candidate.

L’âge, le capital sympathie, le sexe et le facteur ethnique et l’argent
A l’inverse de son adversaire, qui passe sur certaines photos et captures d’écran pour un « vieux schnock » solitaire et peu aimable, Mia Love a une prestance qui la place loin devant : elle est jeune, dynamique, belle et même la couleur de sa peau joue en sa faveur.

Le fait pour Love de faire partie des 1.3% de Noirs qui vivent en Utah est loin d’être un handicap. Rappelons qu’elle a été la première maire Noire en Utah, de Saratoga Springs, pour être plus précis, une grande ville qui a poussé quasiment du jour au lendemain dans la banlieue de Salt Lake City. Elle est de ce fait l’occasion pour l’Utah d’envoyer des signaux forts quant à la place faite aux minorités visibles, d’autant plus que la majorité des électeurs appelés à se prononcer appartiennent à une église qui a tardé à réadmettre les Noirs à ses cercles ecclésiastiques et qui cherche à montrer une image plus cosmopolite en mettant en avant des fidèles comme le chanteur britannique Alex Boyer ou encore la chanteuse Gladys Knight.

Au-delà de l’Utah et en plus de l’appartenance ethnique, le fait d’être née de parents immigrés (ses parents sont originaires du sud d’Haïti) contribue une des étoiles montantes du Parti républicain, à faire de Mia Love, à l’instar de Marco Rubio, le sénateur hispanique de la Floride. Le Parti doit absolument éviter de s’aliéner cette catégorie de population à cause de sa position sur l’immigration, gage également pour les prochaines présidentielles dont le coup d’envoi débutera de fait le soir du 4 novembre. D’où un l’investissement de moyens conséquents pour faire élire Mia Love.

Si l’élection devait se jouer à l’aune du seul paramètre financier, Mia Love l’a alors déjà remportée. D’après le Salt Lake Tribune, quotidien local orienté à gauche, elle a levé près de 1.5 millions de dollars rien que sur le trimestre d’août à octobre de cette année, une force de frappe inégalée à ce jour pour une telle élection en Utah, alors que son adversaire a levé moins de 300 000 dollars au cours de la même période. Cet écart financier traduit l’intense mobilisation des républicains au-delà de l’Utah et, a contrario, un certain défaitisme chez les démocrates.

« Paradoxe mormon » et désir de revanche
Mia Love bénéficiera aussi du « paradoxe mormon », de la capacité qu’ont les mormons à envoyer des signaux a priori contradictoires parce qu’ils sont tiraillés entre le passé, leurs valeurs et la modernité. Une minorité conservatrice, et surtout rurale, en Utah continue de penser que les femmes doivent rester au foyer et s’occuper des enfants. Cela a joué en 2012. Mais le fait pour Love d’être une femme pèsera énormément dans le scrutin à venir pour la simple et bonne raison que cette société patriarcale a un message à envoyer au reste du pays.

Comme pour les minorités, cet État conservateur doit montrer que son conservatisme n’est pas aussi arrêté qu’on voudrait le croire. La pratique de la polygamie a par exemple souvent occulté que l’Utah fut le premier État a accordé le droit de vote aux femmes (1870) et où une femme a pour la première fois été élue à une fonction politique (1896), bien avant le reste du pays (1920). L’élection de Mia Love sera l’occasion pour l’État de renouer avec ce progressisme peu connu.

Étrangement, sur ce plan, c’est le candidat du Parti démocrate qui propose de faire un bond en arrière et s’inscrit en faux par rapport aux valeurs progressistes de son parti en proposant une valorisation salariale pour permettre à l’un des parents dans un foyer, le plus souvent une femme, bien évidemment, de rester à la maison. Dans la mesure où le Parti démocrate n’est pas le même en Utah que dans le reste du pays, tout comme il est différent dans le Sud par rapport au Nord, on peut considérer que cette proposition consiste à s’adapter aux réalités locales et à attirer une partie de l’électorat pro-famille de l’Utah. Mais ce faisant, les démocrates se ringardisent quand on sait qu’en face, c’est une femme qui se propose de quitter son foyer pour faire de la politique.

La question LGBT en Utah et les arrêts des tribunaux
L’élection se jouera aussi d’une part sur la volonté d’une majorité des électeurs de son district de montrer qu’ils sont suffisamment inscrits dans la modernité et suffisamment ouverts pour élire une femme et, d’autre part, leur refus de se voir imposer le mariage homosexuel à coups d’arrêts des tribunaux.

En effet, si, comme tout bon Américain conservateur, les mormons finissent toujours pas accepter les décisions juridiques, ils n’aiment pas la pratique qui consiste à « légiférer depuis le banc » (legislate from the bench), à imposer par le biais des tribunaux ce qu’une majorité du peuple a rejeté par les urnes. Or, il s’est levé dans l’État une vague de mécontentement depuis qu’un juge fédéral a arrêté en décembre 2013, à la grande satisfaction des démocrates, que l’Utah se devait de reconnaître les mariages des couples du même sexe et de marier ceux qui le souhaitaient. Mia Love sera portée par le désir de revanche qui anime les électeurs opposés à cette décision venue des tribunaux fédéraux.

La fin du Parti démocrate en Utah ?
L’Utah n’a plus envoyé de démocrates au Sénat fédéral depuis Frank Moss, battu par Hatch en 1976. Matheson est jusqu’à présent le survivant de cette espèce politique en voie d’extinction. Les démocrates sont déjà très minoritaires à l’Assemblée d’Utah. Si elle devait se confirmer comme le laissent penser les indicateurs, l’élection de Mia Love écartera durablement (et de manière irréversible ?) leur Parti des fonctions politiques fédérales en Utah. Et il est fort peu probable que les dirigeants de l’Église mormone y réaffectent des fidèles par souci d’équilibre comme cela a pu se faire vers la fin du dix-neuvième siècle. Il appartiendra donc aux seuls cadres du Parti, tant sur le plan local que fédéral, de faire le bilan de ce déclin, de trouver autre chose que la « démormonisation » ou la « libéralisation » (dans le sens américain du terme) naturelle de l’Utah et de proposer une alternative politique crédible pour sortir de la longue « traversée du désert » qui semble les attendre.

Certes, il ne faut pas exclure un scénario inverse où Mia Love serait battue. Le dernier sondage publié récemment par des politologues d’un centre de recherche politique de la BYU donne Owens gagnant. La méthodologie très contestable de ce sondage et les indicateurs que je viens d’évoquer pousse plutôt à relativiser l’éventualité d’une victoire démocrate.

En attendant le verdict des urnes le 4 novembre, il faut se désabuser ici de croire que Mia Love, son mari et leurs soutiens sont des conservateurs d’un autre siècle, amoureux de leurs armes et anti-éducation et anti-aides du gouvernement parce qu’ils seraient des gens de l’Amérique dure, d’un autre siècle. C’est bien plus complexe que cela.

Tout comme je l’ai fait pour les démocrates et pour ses cadres, j’ai passé plusieurs heures à observer le déroulement de sa campagne en 2012 et je me suis longuement entretenu avec Jason Love, son mari, et d’autres personnes engagées dans sa campagne. Ce que j’ai retenu, c’est que son équipe est à son image, dynamique, jeune. Ce sont des gens qui partent du principe très américain rendu célèbre par Kennedy qu’il faut se demander ce qu’on peut faire pour son pays et non pas ce qu’on peut en tirer. Cette nouvelle garde que le Parti républicain met de plus en plus en avant est déterminée à aller au Congrès pour réparer Washington, qu’elle croit « en panne ».

Mariage homosexuel en Utah: décision favorable de la cour d’appel, mais c’est pas fini

La  10th Circuit Court of Appeals (10e Cour fédérale d’appel) a rendu public hier (25 juin) sa décision dans l’affaire Kitchen v. Herbert (2013) en appel de l’injonction du juge fédéral Robert Shelby à l’État d’Utah le 20 décembre 2013 de marier et de reconnaître le mariage des personnes du même sexe.

Dans la décision à 2 contre 1 (trois juges ont étudié l’affaire) rendue par la Cour, on comprend dès les premières lignes que c’est un arrêt qui s’inscrit dans la continuité des dernières décisions qui s’appuient sur la clause du « due process » (procès équitable) du Quatorzième amendement à la Constitution fédérale. En effet, en guise d’introduction, la Cour commence par rappeler le rôle fondamental et maintenant historique de ce principe de traitement équitable devant la loi à tous les citoyens américains, principe qu’elle se doit d’affirmer. Elle écrit:

« Our commitment as Americans to the principles of liberty, due process of law, and equal protection of the laws is made live by our adherence to the Constitution of the United States of America. Historical challenges to these principles ultimately culminated in the adoption of the Fourteenth Amendment nearly one-and-a-half centuries ago. This Amendment extends the guarantees of due process and equal protection to every person in every State of the Union. »

La Cour d’appel estime qu’elle devait dans cette affaire répondre à la question suivante: « May a State of the Union constitutionally deny a citizen the benefit or protection of the laws of the State based solely upon the sex of the person that citizen chooses to marry? » (Un État de l’Union peut-il refuser à un citoyen le bénéfice ou la protection des lois fédérales uniquement en raison du sexe de la personne que ce citoyen choisit d’épouser?).

La Cour répond que le/la citoyen/ne doit être considéré(e) en tant que tel/le, « citoyen/ne », indépendamment de son sexe et du sexe de la personne qu’il/elle souhaite épouser. Elle affirme:

« […] we conclude that, consistent with the United States Constitution, the State of Utah may not do so [i.e., « deny a citizen the benefit or protection of the laws of the State based solely upon the sex of the person »]. We hold that the Fourteenth Amendment protects the fundamental right to marry, establish a family, raise children, and enjoy the full protection of a state’s marital laws. A state may not deny the issuance of a marriage license to two persons, or refuse to recognize their marriage, based solely upon the sex of the persons in the marriage union » (italiques ajoutées).

La Cour balaie donc sans ambiguïté et d’un revers de main les arguments de l’État d’Utah, calqués sur les valeurs mormones. Mais l’un des trois juges a estimé que dans l’opinion majoritaire, la Cour d’appel se comportait en « maître à penser » (philosopher-king) en utilisant le Quatorzième amendement comme prétexte pour imposer une autre vision du droit et un autre modèle de société:

« We should resist the temptation to become philosopher-kings, imposing our views under the guise of constitutional interpretation of the Fourteenth Amendment. »

Il est vrai que dans United States v. Windsor (2013), la Cour Suprême fédérale avait estimé qu’il appartenait aux États de réguler le mariage. Toutefois, la Cour d’appel étant une juridiction fédérale, son arrêt ne se limite pas à l’Utah. En effet, contrairement à l’arrêt initial de Shelby en décembre 2013 (à l’origine de Kitchen v. Herbert), celui-ci devrait faire jurisprudence pour tous les États. On le pressent dans la formulation large utilisée et que j’ai mise en italique (voir ci-dessus).

On peut donc dire qu’on vient de fait de franchir un cap dans l’approche de la question du mariage entre les personnes du même sexe aux États-Unis: comme pour le sujet « religion », on s’achemine vers une prise en main progressive de la question du mariage par le fédéral. Et c’est justement pour cela que ce n’est pas fini. Sachant très bien que l’Utah n’allait pas en rester là, la Cour d’appel a suspendu son arrêt.

L’affaire peut évoluer de deux manières maintenant: l’Utah peut demander aux douze juges qui siègent à la 10e Cour d’appel de reconsidérer la décision, ou alors, il peut utiliser son ultime recours en portant l’affaire devant la Cour Suprême fédérale. Mais d’ors et déjà, on sait ce qui va/devrait se passer. Le sénateur mormon Orrin Hatch – qui siège depuis 36 ans au Sénat et qui a présidé à deux reprises la commission des affaires juridiques, celle-là même qui confirme les juges fédéraux – l’a déjà annoncé, comme pour préparer ses coreligionnaires, il faut se rendre à l’évidence, c’est aux États de se conformer à la volonté fédérale. Or, comme il le souligne, la tendance montre que la généralisation du mariage homosexuel aux États-Unis n’est qu’une question de temps:

« Let’s face it, anybody who does not believe that gay marriage is going to be the law of the land just hasn’t been observing what’s going on…. There is a question whether [the courts] should be able to tell the states what they can or cannot do with something as important as marriage, but the trend right now in the courts is to permit gay marriage and anybody who doesn’t admit that just isn’t living in the real world » (Salt Lake Tribune, 28 mai 2014).

Affaire à suivre.

[N.B.: J’avais par erreur considéré que la citation « philosopher-kings » était une critique en direction de l’État d’Utah.]

Ultra Violet: de la Factory d’Andy Warhol à une paroisse mormone

« Ultra Violet was Mormon??? » – Ultra Violet était mormone?, telle est la question, incrédule, d’un internaute sur Times and Seaons, un blog mormon.

J’avoue avoir été un instant tout aussi surpris de cette information. C’est pourtant vrai, Isabelle Collin Dufresne, cette franco-américaine qui nous a quittés le 14 juin dernier a évolué de la Factory d’Andy Warhol dont elle était une figure de premier plan à la fin des années 1960 au mormonisme en 1981.

Comme on peut le lire ici et là dans la presse, après une vie caractérisée principalement par la drogue, le sexe et tous les plaisirs ce qui accompagnent la célébrité des Sixties, Ultra Violet raconte avoir été gravement malade en 1973 au point de se vider de son sang. Admise à l’hôpital, elle a vécu une expérience mort imminente (EMI) ou expérience proche de la mort (Near Death Experience – NDE), pour utiliser l’expression anglo-saxonne, qui marquera le début de son évolution vers le mormonisme où elle a trouvé les réponses à ses questions existentielles.

Glen Nelson, son coreligionnaire et fondateur du collectif « Mormon Artists » à New York, se souvient d’elle dans une note comme « une des plus grands artistes de l’histoire de l’Église [mormone] » qui a même reçu la dotation, le rituel le plus important dans le temple mormon.

Mais, la mormone qu’elle était devenue ne semble pas avoir perdu sa capacité à surprendre. Nelson écrit qu’Ultra Violet lui a confié un jour avoir écrit une pièce où elle fait se rencontrer au ciel Andy Warhol, Adolf Hitler et Joseph Smith, le fondateur du mormonisme!

Quelques témoignages  où Ultra Violet évoque son passé d' »enfant prodigue » :

 

Interview donnée par Ultra Violet en français: http://www.ina.fr/video/I08085069

L’Utah, la (légalisation supposée de la) polygamie et l’AFP

Une information datée du 9 février de l’AFP, relayée sur la page YouTube de l’agence

…et sur Fait-religieux.com, notamment, voudrait nous apprendre que les mormons polygames peuvent désormais pratiquer la polygamie en toute légalité aux États-Unis.

Je n’ai pas besoin de revenir sur les imprécisions de la dépêche concernant l’appartenance religieuse de Joe Darger, ce polygame que nous commençons à connaître très bien maintenant, tant il est présent dans les médias. Retenons tout simplement qu’il s’agit d’une non-information.

Pourquoi? Ben, parce que:

1. Ce qui est rapporté n’est pas une nouvelle information mais quelque chose qui remonte au 13 décembre dernier (c’est indiqué dans la dépêche de l’AFP) suite à un jugement rendu par le juge Clark Waddoups, du district fédéral pour l’Utah, dans l’affaire Brown v. Buhman (2013). Je vous renvoie à ma note sur la question. C’est dans la foulée de cet arrêt qu’un autre juge de la même juridiction avait le 20 décembre 2013 enjoint l’Utah de reconnaître le mariage homosexuel (cf. ma note sur ce sujet aussi).

2. L’arrêt du juge Clark Waddoups, même s’il est un juge fédéral, concerne UNIQUEMENT la juridiction d’Utah… Eh oui, il faut savoir qu’ils ont beau être « juges fédéraux », certains juges sont nommés pour statuer pour une juridiction précise.

3. Immédiatement après son verdict, le juge Waddoups avait émis un « stay », c’est-à-dire qu’il a suspendu l’application de son jugement en attendant qu’il fasse l’objet d’un appel devant une juridiction supérieure (la Tenth Circuit Court of Appeals, la juridiction immédiatement avant la Cour Suprême fédérale). Or, à ce jour, cette juridiction n’a toujours pas rendu son jugement. Si c’était le cas, ce jugement aurait immédiatement été relayé par les organes de presse de l’Utah et aurait figuré sur le site de la juridiction.

Quelle est la source de l’AFP? Pourquoi vient-elle nous annoncer cette information maintenant? Et pourquoi voit-elle une application fédérale à une mesure qui concerne uniquement un État?

La source de l’AFP est certainement l’AP, l’Associated Press, l’équivalent de l’AFP outre-Atlantique: l’information figure sur plusieurs sites de presse américains. Je ne saurais dire pourquoi maintenant. Quant à la généralisation, il faut mettre ça sur le compte d’une méconnaissance des implications de ce jugement sur la société américaine s’il devait être confirmé par la cour d’appel. Et là aussi, je renvoie à ma note du 16 décembre.

Les mormons et… le sport: le phénomène Jabari Parker

Je n’ai pas voulu mettre « Les mormons et le pouvoir » en titre mais le sport, comme la politique et les affaires, constitue indéniablement un moyen pour les mormons de gagner en crédibilité et en légitimité dans la société américaine et au-delà. Si vous êtes familier du net, vous avez certainement vu ou entendu parler de l’extrait vidéo suivant:

Il s’agit d’une partie de basket 2 contre 2 qui a fait dire à un internaute (« neoochromme« ) qu’il allait devenir mormon ne serait-ce pour apprendre le basket, avant d’ajouter que c’est surtout pour la polygamie. Il ne trouvera pas de polygames dans le groupe auquel appartiennent ces missionnaires. Pour ceux qui n’ont pas la possibilité ni l’envie de se plonger dans une thèse (Christian Euvrard, par exemple, parle du rôle du sport dans l’action des missionnaires dans l’implantation du mormonisme en France), on pourra aussi visionner les vidéos suivantes:

Retenez le nom: Jabari Parker. Il a été le meilleur joueur de basket de sa promotion à la sortie du lycée dans tous les U.S. Davantage sur lui:

Oui, comme les missionnaires dans la vidéo ci-dessus, Jabari Parker (qui n’a rien à voir avec Tony Parker… jusqu’à ce que la généalogie mormone nous révèle qu’ils ont un ancêtre commun autre qu’Adam!) est mormon. Il est tout désigné pour convertir « néoochromme » au mormonisme et au basket et, surtout, il est peut-être le futur Michael Jordan.

Il est en ce moment à Duke. Son équipe a d’ailleurs écrasé celle de UCLA le 19 décembre dernier (80 contre 63). Extraits sur le site de Basket Session:

Les meilleures équipes de la NBA, les grandes universités, y compris l’université Brigham Young en Utah (qui appartient à l’Église mormone), veulent pouvoir se l’offrir.

Décriminalisation de la polygamie en Utah et aux États-Unis?

Cette fin d’année est décidément riche en rebondissements sur – ou en lien avec – le mormonisme. Après le reniement total par l’Église mormone de la politique d’exclusion des Noirs de sa prêtrise, exclusion instaurée par Brigham Young, le Salt Lake Tribune, a annoncé le 13 décembre, au lendemain de la soutenance d’une thèse où j’ai aussi étudié la question, que la polygamie serait décriminalisée en Utah et donc tacitement aux États-Unis en général. Le journal de titrer: « Federal judge declares Utah polygamy law unconstitutional » (Un juge fédéral déclare la loi de l’Utah sur la polygamie inconstitutionnelle). Jonathan Turley, l’avocat qui a défendu l’affaire à l’origine de l’arrêt, a publié le même jour une note sur son blog qu’il intitule « Federal Court Strikes Down Criminalization of Polygamy In Utah » (Une cour fédérale d’inconstitutionnalité la criminalisation de la polygamie).

Affiche sister wivesLe juge fédéral en question s’appelle Clark Waddoups, de la juridiction fédérale pour l’Utah, et l’affaire gardera le nom de Brown v. Buhman (2013). Je ne vais volontairement pas m’attarder sur l’origine de l’affaire. Il faut juste noter que les plaignants sont Kody Brown et ses quatre femmes (Meri Brown, Janelle Brown, Christine Brown et Robyn Sullivan), tous les cinq acteurs principaux du feuilleton de téléréalité « Sister Wives » (cf. affiche ci-contre) et la défense est l’État d’Utah, représenté par Buhman.

Turley écrit notamment dans sa note: « With this decision, families like the Browns can now be both plural and legal in the state of Utah » (Grâce à cet arrêt, les familles comme les Brown peuvent maintenant être plurielles et légales dans l’État d’Utah). A entendre la presse et ce que Turley proclame, Brigham Young, Parley P. Pratt, Wilford Woodruff et autres défenseurs de cette pratique doivent sauter de joie là où ils se trouvent! Mais les Juges qui ont rendu l’arrêt Reynolds v. United States (1879) doivent se retourner dans leurs tombes!

On lit effectivement dans l’introduction des 91 pages de l’arrêt:
« […] la cour trouve les dispositions (Statutes) inconstitutionnelles sur la forme (facially) et déclare par conséquent l’expression ‘ou qui cohabite avec une autre personne’ [des dispositions] en violation de la clause du libre exercice [de la religion] du Premier amendement de la Constitution des États-Unis et sans fondement rationnel au regard (under) de la clause du « procès équitable » du Quatorzième amendement, cela aussi bien à l’aune de précédents en vigueurs (established precedents) de la Cour Suprême » (p. 2, je traduis à chaud).

Waddoups reconnait qu’il aurait très bien pu s’abriter (defaulting) derrière l’arrêt Reynolds (p. 10), qui dit pour rappel, que la croyance est un droit inaliénable mais que sa pratique tombe sous le coup de la loi. Mais il ne l’a pas fait, estimant qu’il y a eu depuis des avancées significatives dans le domaines des droits civiques, notamment en ce qui a trait à la vie privée. Et c’est sur ce terrain et sur le droit à croyance, principalement, qu’il fonde l’inconstitutionnalité, partielle, je précise, de la loi anti-polygamie de l’Utah. En fait, il remet profondément en cause la jurisprudence Reynolds en rappelant le contexte dans lequel il a été pris, à savoir une volonté à l’époque de marginaliser les mormons et de les rendre étrangers à l’Amérique: il parle à juste titre de: « […] an orientalist mindset among ruling elites during the time period when Reynolds was decided ». Il détricote et rend caduque la jurisprudence Reynolds, écrivant: « Reynolds is not, or should no longer be considered, good law » (p.22), « no longer good law » est l’expression juridique consacrée pour dire qu’une loi est dépassée.

Si je procède comme Jonathan Turley et la presse, je ne devrais retenir que l’introduction et la conclusion de l’arrêt où le juge répète: « The court finds the cohabitation prong of the Statute unconstitutional on numerous grounds and strikes it » (La cour trouve le passage des provisions sur la cohabitation inconstitutionnelle en plusieurs points et l’abroge – p. 90). Sauf que, si j’ai bien lu, je comprends que le juge ne donne pas un blanc-seing aux polygames et ne légalise en aucun cas la polygamie dans le sens juridique du terme. Le juge précise dans la phrase immédiatement après:
« […] the court adopts the interpretation of “marry” and “purports to marry,” thus allowing the Statute to remain in force as prohibiting bigamy in the literal sense—the fraudulent or otherwise impermissible possession of two purportedly valid marriage licenses for the purpose of entering into more than one purportedly legal marriage ».

Pour résumer, la cour adopte une définition stricte des termes « épouser » et « prétendre épouser » et permet le maintien en vigueur de la disposition interdisant la bigamie, terme juridique pour polygamie, à savoir « la possession frauduleuse ou autrement inadmissible de deux actes de mariage supposément valides » dans le but de fonder une union polygame.

Ce que dit en substance le juge c’est que l’État, qui continue de ne reconnaître qu’un seul mariage acté/légal, n’a pas son mot à dire si un foyer est constitué de plusieurs femmes mariées religieusement avec un seul homme. Seul le premier mariage déclaré est valide. Après, c’est le problème des individus s’ils sont consentants et vivent nombreux dans une relation maritale dans le même foyer. C’est exactement ce qu’avait plaidé ’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, plus connue sous le nom de « Église mormone », au XIXe siècle avant d’abandonner définitivement la polygamie en 1904!

L’avocat des Brown oublie volontairement cette clause de l’arrêt et la presse a suivi. Mais il faut le dire, même si les lois ont évolué, il faut se garder d’aller trop vite en besogne. L’arrêt Brown ouvre une brèche importante, d’autant plus importante qu’il s’attaque à une jurisprudence qui dépasse de loin les mormons polygames – je rappelle qu’ils sont une minorité au sein du mormonisme et n’appartiennent pas à l' »Église mormone » – et remet en cause le droit de l’État (dans le sens large du terme) de réguler certains comportements à partir du moment où ceux-ci se déversent dans la société. Les enjeux sont donc énormes. Quid de la clause de la Constitution de l’Utah (et de bien d’autres) qui dit que « la polygamie sera à jamais interdite »?

Rien n’est joué. Il faut se rappeler que la juridiction qui vient de rendre cet arrêt est une juridiction inférieure et que l’arrêt n’est pas définitif. L’État d’Utah, la défense dans l’affaire, a annoncé son intention de faire appel de cette décision et de toutes celles qui tenterait de légaliser la polygamie. On peut aussi imaginer que les défenseurs des « valeurs » ne seront pas en reste. Je ne serais pas surpris non plus que l’administration fédérale s’invite dans cette affaire qui, je le répète, s’attaque en définitive à la prérogative de l’État de réguler la société. Je rappelle pour finir un argument central dans Reynolds: aucun État ne peut exister si on devait autoriser chacun à s’ériger en son propre législateur, quel que soit la justice de sa cause. En déclarant la loi Reynolds caduque, Waddoups ne vient-il pas tacitement de rejeter cette prérogative régalienne?

[MAJ 20/12/2013] Affaire à suivre.

Ma thèse sur les mormons et la politique: verdict de la soutenance

Chers amis, chers lecteurs,

Cette note pour vous informer qu’à l’issue de quatre passionnantes heures de soutenance hier, jeudi 12 décembre un peu après 18h, votre humble serviteur a reçu le titre de docteur en « études anglophones » dans le champ de la civilisation américaine, spécialisation religion et politique pour la thèse :
« L’intégration politique des mormons aux États-Unis, de Reed Smoot à Mitt Romney ».

Il s’agit d’une thèse de 526 pages (dont une centaine pour les annexes et la bibliographie). Elle couvre une période allant de 1820 à 2012, soit près de 190 ans. Elle comprend quatre parties, divisées en trois, quatre ou cinq chapitres chacune. Titres des parties :
– « Émergence, marginalisation et premières tentatives d’intégration [des mormons] »
– « Les années charnières de l’intégration politique des mormons »
– « La communication : arme politique des mormons »
– « De la marge à Washington : Quand les mormons font la politique des États-Unis »

Le doctorat m’a été décerné avec la mention « Très honorable avec les félicitations » à l’unanimité du jury. Ce dernier était composé de :
– Madame Nathalie Caron, Professeure, Université Paris-Sorbonne – Rapporteure, présidente du jury.
– Madame Blandine Chelini-Pont, Professeure, Université Aix-Marseille – Rapporteure.
– Monsieur Sébastien Fath, Chargé de recherche, Centre Nationale de la Recherche Scientifique – Paris.
– Monsieur Jean-Paul Gabilliet, Professeur, Université Michel de Montaigne – Bordeaux 3.
– Madame Bernadette Rigal-Cellard, Professeure, Université Michel de Montaigne – Bordeaux 3 – Directrice de thèse.

Ce titre vient récompenser quatre années de recherche et de rédaction, marquées, vers la fin, par une asociabilité aiguë. Ce doctorat marque aussi la fin d’un parcours et le début d’un autre : une publication du texte remanié est attendue, ainsi que plusieurs livres sur des aspects précis de la thèse. Le repos sera donc pour… euh… il paraît que les universitaires et la retraite ça fait deux!

Merci à tous ceux qui m’ont soutenu, qui ont valorisé mes recherches en venant lire des extraits sur ce blog, en me donnant l’occasion de donner des conférences ou en les publiant.

L’Église mormone et les Noirs: désaveu de la politique d’exclusion de Brigham Young

Le 3 janvier 2011, j’avais publié la note « Positions de l’Église mormone vis-à-vis des Noirs » où je faisais la synthèse et retraçais l’historique de l’exclusion de ce groupe de personne à un moment donné de la prêtrise et de certains rituels de la dite Église en raison de la couleur de leur peau.

Cette politique avait pris fin en 1978 mais l’Église soutenait encore que l’exclusion était fondée sur un ordre divin et certains dirigeants et fidèles avaient élaboré toute une théologie pour justifier ce racisme. Le 28 février 2012, un professeur de religion de l’Université Brigham, Randy Bott, avait pourtant défrayé la chronique en disant tout haut ce qui était enseigné dans l’Église ou qui, à tout le moins, figurait encore dans ses ouvrages concernant les Noirs (cf. Washington Post, « The Genesis of a Church’s Stand on Race« ). Pour faire taire la polémique, l’Église avait réprimandé Bott et s’était empressée de publier, dès le lendemain de la parution de l’article du Washington Post, un communiqué de presse où elle affirmait que les propos de Bott ne faisaient en aucun cas pas partie de sa doctrine ni de ses enseignements (cf. LDS Newsroom, 29 fév. 2012, « Church Statement Regarding ‘Washington Post’ Article on Race and the Church« ).

Cette déclaration était déjà une forme de désaveu… sur fond toutefois d’hypocrisie: l’institution de Salt Lake y affirmait ne pas « savoir précisément pourquoi, comment ou quand cette restriction avait commencé dans l’Église », ignorant les travaux des historiens, issus de ses rangs, qui avaient clairement montré que Brigham Young était le prophète par qui tout avait commencé. Nonobstant cela, il y a eu des progrès ici et là, la dernière en date étant une déclaration de l’Allemand Dieter Uchtdorf, l’un des trois membres de la plus haute instance de l’Église. Rappelant ceux qui avaient quitté le bercail à y revenir, il avait admis que l’institution avait, à travers ses dirigeants, commis des erreurs. Il avait déclaré:
« Et, pour être tout à fait franc, il y a eu des fois où les membres ou les dirigeants de l’Église ont tout bonnement fait des erreurs. Il a pu se dire ou se faire des choses qui n’étaient pas conformes à nos valeurs, à nos principes ou [à] notre doctrine » (cf. Conférence générale, octobre 2013, « Venez nous rejoindre« ).

On relève la prudence d’Uchtdorf qui n’a cité aucun nom mais sa déclaration avait été très favorablement reçue par la majorité des mormons et la presse internationale en a grandement fait l’écho. Il suffit de faire une petite recherche internet avec les mots « Uchtdorf » et « mistakes » pour s’en convaincre (cf. NYT, « A Top Mormon Leader Acknowledges the Church ‘Made Mistakes’ »). Bien évidemment, Uchtdorf ne pouvait pas avoir fait une telle déclaration sans avoir obtenu au préalable l’aval du prophète Thomas Monson. Mais il n’est pas anodin non plus qu’elle soit venue de lui, un Allemand.

On sait, a posteriori, que les propos d’Uchtdorf étaient une sorte de préparation des fidèles à d’autres choses. En me levant ce matin, j’ai été agréablement surpris d’apprendre, via les profils FB d’amis mormons Américains, que l’Église venait de publier sur son site internet un article intitulé « Race and the Priesthood« , qu’il faut traduire par « Les Noirs et la prêtrise ».

Neither nor White, Bush & Mauss coverAvant d’en venir à son contenu, il faut remarquer que l’article n’a rien d’un simple communiqué de presse. Il s’agit d’un article universitaire très informé (il faut d’ailleurs y voir un réchauffement des relations entre l’institution de Salt Lake et ses intellectuels), avec des notes de renvoi (25 références en tout) à des déclarations de dirigeants mormons mais aussi et surtout à des travaux universitaires de chercheurs bien connus comme la mormone Margaret Blair Young. On regrettera cependant que ne soient pas cités Lester E. Bush et Armand L. Mauss dont les travaux font référence en la matière. Leur ouvrage, Neither Black nor White: Mormon Scholars Confront the Race Issue in a Universal Church (1984), est accessible dans son intégralité sur le site de l’éditeur (Signature Books).

Sur le fond, l’article retrace l’historique de l’exclusion des Noirs et la présente telle qu’elle est connue des historiens et situe le tout avec précision dans le contexte général de l’histoire des Noirs aux États-Unis, montrant justement qu’une religion n’est jamais déconnectée de son environnement social et politique. Il y est clairement indiqué que les Noirs étaient pleinement acceptés dans l’Église sous Joseph Smith: Elijah Abel, le premier hiérarque mormon Noir, est notamment cité. Et, chose aussi importante, on y lit que c’est Brigham Young, très favorable à la culture raciste et de ségrégation qui prévalait aux États-Unis en son temps, qui avait annoncé l’interdiction d’ordonner les Noirs à la prêtrise mormone en 1852.

Extraits :
« During the first two decades of the Church’s existence, a few black men were ordained to the priesthood. One of these men, Elijah Abel, also participated in temple ceremonies in Kirtland, Ohio, and was later baptized as proxy for deceased relatives in Nauvoo, Illinois. There is no evidence that any black men were denied the priesthood during Joseph Smith’s lifetime. »

« In 1852, President Brigham Young publicly announced that men of black African descent could no longer be ordained to the priesthood, though thereafter blacks continued to join the Church through baptism and receiving the gift of the Holy Ghost. Following the death of Brigham Young, subsequent Church presidents restricted blacks from receiving the temple endowment or being married in the temple. Over time, Church leaders and members advanced many theories to explain the priesthood and temple restrictions. None of these explanations is accepted today as the official doctrine of the Church. »

« In theology and practice, The Church of Jesus Christ of Latter-day Saints embraces the universal human family. […] As the Book of Mormon puts it, “all are alike unto God. »

« Today, the Church disavows the theories advanced in the past that black skin is a sign of divine disfavor or curse, or that it reflects actions in a premortal life; that mixed-race marriages are a sin; or that blacks or people of any other race or ethnicity are inferior in any way to anyone else. Church leaders today unequivocally condemn all racism, past and present, in any form. »

Je traduis ce dernier paragraphe (en attendant la traduction française officielle de l’Église): « Aujourd’hui, l’Église désavoue les théories soutenues par le passé que la peau noire est [était] le signe d’une disgrâce divine ou d’une malédiction, ou que cela reflète [reflétait] des actes [accomplis] dans la vie pré-terrestre/pré-mortelle; [l’Église désavoue] que les mariages interraciaux sont [soient] un péché ou que les Noirs ou des peuples d’autres ethnies sont [soient] inférieurs à qui que ce soit. Les dirigeants de l’Église condamnent ce jour sans équivoque tout racisme, passé et présent, quel qu’en soit la forme ».

Cette déclaration était à n’en pas douter depuis longtemps en préparation et chaque mot a été murement réfléchi. Mais comment ne pas relever qu’elle intervient au lendemain de la mort du grand Nelson Mandela?

« Amen! », dit l’historien.

(N.B.: Cette note a été mise à jour par rapport à la version publiée ce jour en fin de matinée.)